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Exposition : ''A l’ombre des divinités'', 2013, Institut Français Phnom Penh

Discours d’ouverture de l’exposition :

''A l’ombre des divinités''

par J-M Philippi




La tâche ardue m’a été confiée de dire quelques mots personnels sur la peinture ici présente de Thomas Pierre. J’espère que cela me prendra moins de temps qu’il n’en a fallu au peintre pour réaliser les tableaux que vous allez contempler sous peu.

Angkor Vat a tellement été adulé qu’on a fini par se demander quelles autres nouvelles représentations il serait encore possible d’ajouter à Angkor au lever du soleil, à son coucher, dans la brume matinale... On est parfaitement fondé à attendre une représentation surréaliste du type Angkor sous la neige ou pourquoi pas sur la planète Mars...

Ce n’est pas peu de dire que Thomas-Pierre voit les choses autrement : une représentation à la limite de l’abstraction, des recréations où la vision d’ensemble l’emporte sur un donné factice, un fouillis quasi inextricable que l’œil renonce à ordonner si tant est que l’ordre ait ici une pertinence quelconque.

Pourtant, dès le départ, c’est sous le signe de l’ordre absolu et transcendé qu’Angkor fut inventé.

Inventé ! Le mot n’est pas faible, car Angkor sera à jamais l’enfant chéri d’une aventure qui se confond avec celle des Français au Cambodge.

Certes, nos Français ne découvrent pas Angkor, cela faisait belle lurette que les Cambodgiens qui l’avaient conçu en connaissaient les lieux et y organisaient des pèlerinages religieux.

Seulement voilà, ce sera le rôle échu à la France du protectorat de replacer, dès le début, « les ruines grandioses » de l’amiral de Lagrandière dans les contingences historiques de l’époque du protectorat.

Faire d’Angkor le symbole éternel du Cambodge avait consisté à transformer un lieu de pèlerinage religieux en un réceptacle de l’orgueil national.

La vision ne requérait pas un gros effort quand on dispose du plus grand temple hindou du monde : Angkor Vat.


Cette sanctification accomplie avec tout l’hiératisme requis allait laisser des traces autres que sur le drapeau national: désormais, la représentation ne saurait alors être autre que strictement figurative.

L’idéologie angkorienne, qualifiée d’ailleurs par des mauvais esprits « d’angkorianisme », était là pour guider nos impressions et nous prémunir contre le sacrilège.

Thomas-Pierre n’y est pas allé par 4 chemins et nous livre sans détours son évocation personnelle d’artiste.

Les tours se devinent dans le lointain tempérées par une présence humaine : un bateau avec des personnages flottant sur les douves, des visiteurs en une position centrale, des silhouettes féminines qui esquissent des mouvements graciles tranchant dans un magma d’eau et de pierre...

Le ton est donné, ce n’est plus la froide majesté hindoue, d’ailleurs tellement paradoxale dans un pays qui a choisi le bouddhisme, mais l’œil qui reprend ses droits et qui se complait en une vision finalement plus vraie que de culture.

De culture, pas de nature. La nature est, elle, constamment présente sous les traits du peintre qui excelle à restituer un fouillis superbe comme celui de Ta Prohm où une structure à peine esquissée n’en finit plus de s’entremêler avec une nature omniprésente.

Vampirisante, envahissante la nature? Sans doute oui ! Sous les coups de hache des défricheurs que conspuait en son temps Pierre Loti, mais pas sous les traits du peintre qui, incidemment fidèle à la vision d’une littérature khmère du paysage, se refuse à trancher sur une priméité : chez lui, dans leur distorsion réciproque, pierres et arbres veulent faire poétiquement corps de toute éternité ; ne serait-ce pas là une illustration de cet étrange pouvoir de la toile qui se refuse obstinément à la photographie ?

La première chose que vous allez être tenté de faire et à laquelle je n’ai moi-même pas échappé est évidemment de procéder à une identification des lieux : après tout, pourquoi pas ?


L’exercice est périlleux. C’est un peu comme si notre peintre avait trouvé un malin plaisir à brouiller les pistes, en reformulant selon son humeur abstraite du moment des archétypes qu’on croyait pourtant bien établis.

Un superbe exemple entre tous : le Baphuon ! Le plus impressionnant des temples montagnes avant Angkor Vat est superbement retravaillé. Thomas-Pierre n’hésite pas à réveiller la pyramide endormie en lui adjoignant des prasats qui, ironie du sort, étaient sans doute là à l’origine.

Le nec plus ultra demeure cependant sa vision du Bayon. Encore une fois magie de la peinture ! Objet de toutes les attentions, c’est le temple énigmatique par excellence et jusqu’à il y a peu, c’était encore une structure mal identifiée.

Temple montagne ? On voit mal pourquoi Jayavarman VII en aurait construit un en ces lieux, lui qui s’était acharné à éliminer la notion même de temple montagne.

Résultat d’une intuition ? D’une observation minutieuse ? Au fond peu importe car, pour le Bayon, la solution du peintre a été de déconstruire radicalement le thème du temple montagne.

Brouillant la lettre des proportions, il nous livre l’esprit du temple en une humanité qui tranche sans concessions avec la froideur d’une vision hindoue que d’aucuns s’acharnaient et s’acharnent pourtant aujourd’hui encore à maintenir.

Nous avons eu des discussions il y a peu avec une amie cambodgienne qui s’est faite l’avocate d’une vision bouddhiste intégrale du Bayon, jusqu’à le considérer comme un gigantesque ensemble de stupas.

J’aurais vraiment souhaité qu’elle soit parmi nous ce soir : elle aurait pu constater que, par des voies différentes, l’art de Thomas Pierre conforte intuitivement la vision qui est la sienne.

Que veut dire au fond « représenter » ? Rendre présent à la vue, à l’esprit ? Le théâtre est bien là avec le thème de la mise en scène.

Thomas-Pierre ne fait-il pas exactement la même chose ? Mettre en scène des temples, les traduire en un autre niveau de la réalité, faire parler ce magma...

Les temples existent bien vous rétorquera-t-on, alors qu’apporterait une nouvelle représentation ?

Là est le problème ! Les temples existent pour l’archéologue et l’architecte dans des fonctions originelles qu’ils s’attachent à restituer, c’est un fait ! Eh bien non ! Ce n’en est pas un !

Ces temples ont vu leurs apparence et fonctions changer au cours de l’histoire : bouleversements religieux, hindouisme et bouddhisme, ajouts, comme ce gigantesque Bouddha couché qui flanque la façade ouest du Baphuon, sans parler de la part de la nature.

Cela s’appelle le social et l’histoire, deux données que l’archéologue et l’architecte ne peuvent évoquer que par le truchement d’un discours descriptif platement linéaire.

La mise en scène de Thomas Pierre transcende social et histoire et redonne vie à Angkor en une suggestion puissante qui conjoint simultanéité et temporalité, deux thèmes traditionnellement tellement antithétiques au regard des sciences sociales.

Nous attendions depuis longtemps cette restitution poétique sans trop d’espoir. Eh bien ce soir, c’est chose faite. Merci à toi Thomas Pierre.

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